C’est un projet de loi étrange que le Conseil des ministres vient d’adopter. Le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) est une projection sur dix ans des budgets de la recherche, de la part d’un gouvernement soutenu par une majorité à qui il ne reste même pas deux ans de mandat. Libération met en ligne les textes du projet de loi et du rapport annexé présentés au Conseil des ministres.

L’objectif affiché est d’enfin réinvestir dans un système oublié des arbitrages budgétaires depuis vingt ans. L’évolution du budget de la recherche publique est plus souvent nul ou négatif ces dernières décennies. Le graphique ci-dessous représente le budget annuel de la recherche en pourcentage du budget de l’année précédente de 1981 à 2018, selon les chiffres du ministère. Il se repose sur l’évolution prévue par la LPPR, même si la base de travail n’est pas exactement la même. En effet, cette dernière ne s’intéresse qu’au budget dépendant du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (soit environ 15 milliards sur un peu plus de 17).

Des milliards, quels milliards ?

La confusion est grande sur les chiffres investis par le gouvernement, entre un président qui parlait de 5 milliards en mars et une ministre, Frédérique Vidal, promettant de réinjecter 25 milliards d’euros dans la recherche publique sur les dix prochaines années:  «Jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale un gouvernement n’a réalisé un tel investissement dans la recherche», se réjouit-elle.

Le chiffre de la ministre est conséquent mais il est issu d’un calcul un peu baroque. L’objectif, en réalité, est de faire passer la part du budget de la recherche dépendant de son ministère de 15 milliards d’euros à 20 milliards d’euros dans dix ans. Le tout à raison d’augmentations incrémentales d’environ 500 millions d’euros par an. Si la somme de ces augmentations donne bien un «investissement de 25 milliards d’euros sur dix ans», concrètement, le budget annuel de la recherche n’aura augmenté que de 5 milliards d’euros.

Et encore. «La programmation du gouvernement oublie la prise en compte de l’inflation et de la croissance», pointe le Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS). De fait, cette loi prévoit d’avoir douze ans de retard. Elle aura fini d’injecter en 2030 l’argent nécessaire au système en 2018.

Depuis 2000, la France s’est donné pour objectif, avec l’Europe, de consacrer 1% de son PIB à la recherche publique. Aujourd’hui, la France est à 0,75%. Une augmentation brutale de 5 milliards d’euros permettrait donc d’atteindre la barre des 1%. Mais une augmentation incrémentale étalée sur dix ans, non. «On rattrapera entre un tiers et la moitié du retard actuel en dix ans, au mieux», analyse la commission permanente du Conseil national des universités.

Bronca de la communauté

L’autre point faible du texte, c’est la mobilisation qu’il suscite contre lui. Malgré la hausse des primes pour les personnels, malgré la hausse des contrats doctoraux, malgré la promesse d’un meilleur taux de succès aux appels à projets, tout ce que la communauté compte d’instances représentatives s’est exprimé contre ce projet de loi. Il est accusé d’accentuer la précarité et de contourner le statut de fonctionnaire.

La ministre s’est défendue sur France Culture mercredi matin en évoquant le vote positif du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser). Un vote positif obtenu à 6 h 45 du matin après vingt et une heures de séance et le départ et le boycott de plusieurs organisations syndicales. Au début de la séance, une motion actant des «divergences majeures» entre le texte et les recommandations du Cneser avait d’ailleurs été votée.

La LPPR doit maintenant être débattue au Parlement en septembre. En pleine rentrée, donc, alors que les universités déjà sous tension vont devoir faire face à un afflux inédit d’étudiants tout en respectant les règles sanitaires.