Le projet de loi recherche en quatre questions (Les Echos 22/7/20)

Les Echos 22 juillet 2020

Le texte, présenté mercredi en Conseil des ministres, vise à relancer un secteur miné par des années de sous-investissement. Budget, calendrier, critiques… voici les principales dispositions du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, ainsi que ses potentielles conséquences.

Un système affaibli, un investissement massif, et un flot de critiques. Alors que les comptes publics subissent de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire, le projet de loi sur la recherche doit redonner un nouveau souffle à un système en perte de vitesse. Comment ? Avec quel budget ? Le point dans CQFD.

1. Quelle est la situation de la recherche en France ?

« La France décroche », admet l’exposé des motifs du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche. En 2000, les pays européens s’étaient fixé un objectif de recherche global équivalent à 3 % de leur PIB. La France n’est qu’à 2,2 %. Plusieurs voisins ont atteint, voire dépassé cette cible. La France ne figure ainsi plus qu’en 12e position dans les pays de l’OCDE, alors qu’elle occupait la 4e place en 1992, rappelle le Conseil économique, social et environnemental (Cese).

Une situation qui se reporte aussi sur les chercheurs. En 1985, le salaire brut d’un maître de conférences en début de grille représentait 2,25 Smic contre 1,53 Smic en 2018. Les postes sont eux aussi de plus en plus rares. « En 2020, le nombre de postes de CR (chargé de recherche) au CNRS a atteint le niveau historiquement bas de 239 postes, alors qu’il était de 359 en 2011, augmentant d’autant la pression de recrutement sur chaque poste », détaillait en février un collectif de chercheurs dans une tribune publiée dans « Libération ».

« Une chute similaire a eu lieu du côté des universités : c’étaient près de 3.500 postes de MCF (maître de conférences) qui étaient publiés chaque année jusqu’à la fin des années 1990, pour uniquement 1.600 en 2019, alors même que la démographie étudiante ne cesse d’augmenter », abondent-ils. Par ailleurs, « 30 % des enseignants-chercheurs de l’université sont des contractuels, vacataires, attachés temporaires d’enseignement et de recherche, et ce, sans soutien matériel et financier de leur activité de recherche », souligne le collectif.

2. Que prévoit le projet de loi ?

Mettre 25 milliards d’euros sur la table. C’est l’objectif principal du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche. ​Autre mesure phare : renflouer l’Agence nationale de la recherche (ARN), créé il y a quinze ans pour promouvoir la recherche sur projets et stimuler l’innovation. Il est prévu d’accroître son financement d’un milliard d’euros, en complément des financements « de base » des laboratoires, dont les montants seront eux-mêmes augmentés de 10 % d’ici à 2022. « Les comparaisons internationales montrent que les moyens actuels de l’ANR sont très insuffisants », selon le projet de loi pluriannuel de la recherche (LPPR). Résultat : le taux de succès aux appels à projets (16 %) est trop faible, note la LPPR, qui voudrait le voir grimper à 30 %.

Pour « faire de la recherche française une terre d’accueil » des jeunes scientifiques, la loi veut également instaurer des voies parallèles aux recrutements actuels. En clair, un nouveau contrat sera créé pour certaines entrées de carrière et permettra d’accéder à une titularisation. Au total, 300 « chaires de professeurs juniors », seront ouvertes chaque année, sur le modèle des « tenures tracks » américains, autrement dit « parcours de titularisation ». Par ailleurs, pour les personnels recrutés spécifiquement pour un projet de recherche, un « CDI de mission scientifique » sera créé, qui prendrait fin avec la réalisation du projet.

La LPPR entend enfin remédier à une « faiblesse des rémunérations qui contribue à une perte d’attractivité des carrières scientifiques » et prévoit que l’embauche des jeunes chercheurs ne pourra pas se faire en dessous de 2 Smic. Sur le volet indemnitaire, 640 millions d’euros sur les sept prochaines années seront consacrés à la revalorisation des carrières.

3. Quel est le calendrier prévu ?

Les 25 milliards d’euros d’investissements prévus par le projet de loi seront étalés sur les dix prochaines années, de façon graduelle : 400 millions en 2021, 800 millions en 2022, 1,2 milliard en 2023… En 2030, le budget annuel de la recherche devrait avoir augmenté de 5 milliards d’euros, pour atteindre 20 milliards.

Ce calendrier fait l’objet de vives critiques, y compris d’institutions peu habituées à l’exercice. Ainsi, le Conseil économique, social et environnemental a rendu un avis sévère sur le projet en juin dernier. Il accuse notamment le gouvernement de faire porter l’effort financier sur les deux quinquennats suivants, ce qui ne l’engage en rien. Idem en ce qui concerne l’Académie des sciences, qui a fait part de sa « déception ».

4. Quels sont les points de crispation ?

Outre les questions budgétaires et le calendrier, les possibles conséquences sociales inquiètent. Les « chaires de professeurs juniors », qui pourraient à terme représenter un quart des créations de postes de directeurs de recherche et de professeurs, cristallisent les tensions. Combinées aux « CDI de mission scientifique » – qui pourront être rompus à la fin du projet, elles font craindre une explosion de la précarité dans le secteur.

La distribution de financements par le biais d’appels à projets est également critiquée. Pour les opposants, cela se fera irrémédiablement au détriment des financements pérennes des laboratoires. Ils y voient l’avènement d’une recherche « compétitive et sélective » au profit de quelques-uns, et nuisant à la liberté académique.

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