Personnes vulnérables : un nouveau décret déclenche la colère des associations

Désespérée, Stress, A Souligné, Problème

Par Bertrand Bissuel : Le Monde 12/10/2020

Des organisations de défense des patients trouvent que les dispositions prises par le gouvernement sont trop restrictives.

Le gouvernement a beau avoir remanié sa copie, elle suscite encore beaucoup d’insatisfaction. Dans le Journal officiel du mercredi 11 novembre a été publié un décret qui modifie les modalités de prise en charge des personnes les plus vulnérables « face au risque de forme grave d’infection au SARS-CoV-2 ». Le texte en question fait suite à un autre décret, en date du 29 août, que le Conseil d’Etat avait suspendu en référé, dans le cadre d’une action de plusieurs requérants qui le jugeaient trop restrictifs. Ces critiques restent entières, puisque la nouvelle mouture qui vient d’entrer en vigueur met en colère plusieurs associations évoluant dans le champ de la santé.

Le décret paru mercredi fixe une nouvelle liste de critères permettant de définir les personnes qui peuvent bénéficier du chômage partiel, au motif qu’elles sont susceptibles de développer une forme sévère du Covid-19. Pour cela, elles doivent remplir plusieurs conditions. Il faut tout d’abord qu’elles se trouvent dans une des situations de fragilité potentielle, dont la liste est détaillée dans le texte : avoir au moins 65 ans, être au troisième trimestre de grossesse, « présenter une obésité », être atteint d’un « cancer évolutif sous traitement »« avoir des antécédents cardiovasculaires », etc. Les cas de figure retenus correspondent aux dispositions qui prévalaient avant le décret du 29 août ; quelques pathologies ont même été ajoutées, comme les maladies rares et des pathologies neurologiques et neurodégénératives.

Un second critère est requis : la personne doit se trouver dans l’impossibilité d’exercer son métier chez elle. Troisième paramètre : il faut que ses conditions de travail accroissent le risque de contracter la maladie. Elle est alors en mesure de demander à son patron d’être placée au chômage partiel, en lui présentant un certificat médical.

En revanche, elle n’a pas le droit de bénéficier de ce système si des « mesures de protection renforcées » ont été mises en place. Le décret énumère celles-ci de façon très précise : « isolement » ou « aménagement » du poste de travail « pour limiter au maximum le risque d’exposition »« adaptation des horaires » afin d’éviter les transports en commun au moment où il y a affluence, respect de« gestes barrières renforcés », etc.

« Manœuvre inique »

La procédure prévue implique donc que le salarié fasse état de « mesures de protection » insuffisantes sur le lieu de travail – ce qui n’est pas forcément l’avis de ses chefs. En cas de désaccord entre les deux parties, la personne a la faculté de se tourner vers le médecin du travail, qui se prononce sur la situation.

Ces nouvelles règles inspirent de la colère parmi les organisations qui représentent les usagers du système de santé. « Nous sommes très mécontents », confie Féreuze Aziza, de France Assos Santé.« C’est la catastrophe », renchérit Agnès Maurin, directrice de la Ligue nationale contre l’obésité – qui faisait partie des requérants ayant saisi le Conseil d’Etat au sujet du décret du 29 août. « Nous sommes très remontés », enchaîne Magali Leo, de Renaloo – une association défendant les patients atteints d’insuffisance rénale.

Leurs arguments sont grosso modo les mêmes. Elles trouvent que le mécanisme élaboré par le gouvernement met le salarié dans une position délicate puisqu’il est, de facto, amené à signaler à ses managers des manquements en matière de sécurité. « Quel patient osera affronter son employeur ? », s’interroge la Ligue nationale contre l’obésité, dans un communiqué, qui fustige « une manœuvre inique et perfide ». Les salariés concernés vont être plongés dans une « situation intenable », alors qu’ils sont « déjà fragilisés », s’indigne France Assos Santé : cela « risque d’entraîner de nombreux renoncements à cette disposition », relève-t-elle.

Autre grief adressé aux pouvoirs publics : plusieurs pathologies ne sont pas prises en compte dans le décret alors que le Haut Conseil de la santé publique les avaient identifiées « comme étant les plus à risque », selon Renaloo. En outre, les proches des personnes vulnérables sont absentes du dispositif. C’est « un recul inacceptable », tonne France Assos Santé. Enfin, la « méthode du gouvernement » scandalise les associations. Elles avaient pu prendre connaissance d’un projet de texte, il y a quelques jours, mais le décret a finalement été publié, « un jour de congé », sans qu’elles puissent faire valoir leurs observations, affirme Magali Leo. Dès lors, il est probable que le texte paru mercredi au Journal officiel soit – tout comme celui du 29 août – attaqué en référé devant le Conseil d’Etat.

Certains syndicats ont une tout autre position sur le sujet. Secrétaire confédéral de FO, Serge Legagnoa trouve que le nouveau décret est « très intéressant et positif pour les salariés » puisqu’il permet de « lister les aménagements du poste de travail nécessaires pour limiter le risque »« Ça donne un fondement juridique aux protocoles sanitaires qui n’étaient que des recommandations, donnant ainsi une sécurisation juridique de la santé au travail en lien avec le risque sanitaire », ajoute-t-il. De son côté, l’UNSA estime, dans un communiqué diffusé mercredi, que « le gouvernement revient enfin à la raison ». Cette organisation réclame toutefois des mesures similaires pour les personnes vivant avec celles qui sont considérées comme vulnérables.

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