Le CNRS lance une enquête administrative pour faire la lumière sur le fonctionnement du laboratoire Ciri de Lyon (AEF 28 4 2023)

Après l’IHU de Marseille, c’est un nouveau grand laboratoire de santé qui est pointé du doigt dans un rapport de visite de la F3SCT de l’ENS de Lyon, présenté mardi 25 avril 2023 : le Ciri, centre international de recherche en infectiologie. Des accusations de harcèlement moral sont notamment portées à l’encontre de deux chefs d’équipes. Mais plus largement, ce sont les conditions de travail des doctorants (temps de travail, droit à la déconnexion, congés) qui sont interrogées. Le CNRS lance une enquête administrative et propose aux autres tutelles de se joindre.

Le Ciri a pour objectif principal la compréhension des interactions entre les microbes et leurs hôtes afin de mieux lutter contre les maladies infectieuses. Droits réservés – DR – @Université Lyon-I

« Nous allons lancer une enquête administrative et proposons aux autres tutelles [Inserm, ENS de Lyon, Lyon-I] de se joindre », déclare à AEF info Laurent Barbieri, le directeur régional Auvergne-Rhône Alpes du CNRS, jeudi 27 avril 2023. « Il est indispensable de faire la lumière de façon contradictoire et de recueillir tous les témoignages », précise-t-il. Cette décision fait suite à l’adoption, le 26 avril, d’un rapport de visite du laboratoire par la F3SCT de l’ENS de Lyon, qui met notamment en cause un directeur de recherche du CNRS. En tant qu’employeur, il revenait donc au CNRS de décider de lancer une enquête administrative ou non. L’Inserm fait savoir à AEF qu’il « va s’associer à cette enquête administrative en tant que co-tutelle de cette unité suivant des modalités à définir avec les partenaires ».

Après des signalements de harcèlement moral auprès des représentants du personnel, le CHSCT de l’ENS de Lyon s’est en effet auto-saisi en juin 2022 et a mené une enquête sur le fonctionnement de ce laboratoire multi-tutelles qui accueille 400 personnes réunies au sein de 24 équipes (1). Un questionnaire de pré-visite a été envoyé à 147 personnes (74 réponses dont 37 doctorants), suivi d’une visite sur site de la délégation en décembre 2022. Deux chefs d’équipes sont particulièrement pointés du doigt dans le rapport.

Le CHSCT demande la mise en place de « mesures conservatoires en accord avec les victimes présumées des agissements signalés afin de les protéger et d’assurer le bon déroulement de l’enquête ».

LA COMPLEXITÉ INDUITE PAR LA MULTITUTELLE

« Les personnels rencontrés lors de la visite sont unanimes au sujet de la complexité de gestion des problèmes de ressources humaines, de harcèlement moral et de relations interpersonnelles induite par la situation multitutelle du laboratoire », écrit le CHSCT dans son rapport. « Le laboratoire compte en effet quatre tutelles principales, rendant difficile l’identification des ressources et des circuits de signalement pour résoudre les problèmes se produisant au sein du laboratoire. Certains personnels sont très sévères, considérant que cette situation conduit les différentes tutelles à laisser faire ‘n’importe quoi’, en se déresponsabilisant les unes et les autres face aux problèmes signalés au sein de l’unité. »

AMBIANCE DE TRAVAIL DÉGRADÉE

S’il est question de « métier choisi par passion » et de « collègues super », « le constat d’une banalisation de conditions de travail inacceptables est partagé », relate le CHSCT : « En effet, l’idée qu’il y a trop de pression et que les conditions de travail sont mauvaises mais ne changeront jamais semble caractéristique d’une certaine désespérance des équipes. […] La régularité des témoignages évoquant des remarques désobligeantes contre le personnel, l’angoisse de plusieurs agents nous signalant une tentative de suicide ou indiquant qu’il ‘faudrait attendre que les choses se passent comme à France Telecom pour qu’il y ait enfin un changement’, sont très inquiétantes et témoignent d’une ambiance de travail très dégradée au sein du laboratoire. »

CONDITIONS DE TRAVAIL DES DOCTORANTS

Le rapport se penche également les conditions de travail des doctorants dans ce laboratoire réputé au plan international pour son excellence scientifique, pointant par exemple des horaires de travail très importants (45 heures par semaine en moyenne, 35 répondants déclarant travailler au-delà), l’absence de droit à la déconnexion, des repas sautés ou écourtés, la gestion des arrêts maladie ou des difficultés à poser des congés.

Il demande la mise en place d’un guide d’accueil rappelant les droits des doctorants ainsi qu’une « formation à l’encadrement et à la prévention des risques psycho-sociaux » pour « l’ensemble des chefs d’équipe du laboratoire », ce, « au plus vite ». « Plusieurs agents pointent les grandes qualités scientifiques de nombreux encadrants, mais aussi leur manque de compétences de management », est-il écrit dans le rapport. « Beaucoup ne savent pas qu’il y a du harcèlement car ils ne savent pas ce que c’est. […] Mais le problème est aussi parfois que les encadrantes et membres de la direction sont réfractaires à de telles formations », ajoute le CHSCT.

Il préconise enfin « que le régime de congés des doctorants de l’ENS de Lyon soit aligné sur celui le plus favorable des autres tutelles », avec « une déclaration des congés sur une plateforme en ligne ».

(1) Les 400 personnels sont répartis comme suit : 116 Inserm, 160 Lyon-I/HCL, 26 ENS, 25 CNRS et 70 autres (Saint-Étienne, fondations, Ezus, etc.). Au total, le laboratoire compte 92 doctorants dont 17 sont hébergés à l’ENS de Lyon.

Print Friendly, PDF & Email