Prime d’excellence scientifique à l’INSERM

Le 20 octobre 2009

Monsieur le Président Directeur Général de l’Inserm,

Le dernier CA de l’Inserm, malgré des voix dissonantes, a majoritairement approuvé le principe de la mise en oeuvre de la « Prime d’Excellence Scientifique » souhaitée par le ministère dès cette année, tout en vous faisant confiance pour les modalités de détail d’application de cette mesure. Cette « PES » mélange allègrement incitation des chercheurs à enseigner davantage (ce dont on peut sans doute discuter) et, au nom d’une excellence bien difficile à définir en temps réel, individualisation forcenée des rémunérations (ce qui choque profondément une partie de la communauté scientifique). Indépendamment, vous vous êtes félicité de la brillante qualité des recherches menées à l’Inserm et de « l’excellence » des recrutements effectués par notre organisme, cette année comme les années précédentes. A propos de cette PES, une motion récemment adoptée par la Conférence des Présidents du Comité National du CNRS (instance peu susceptible de n’abriter que d’insignifiants et négligeables syndicalistes) a été adoptée par 37 voix pour, 0 contre et 1 abstention (cf ci-dessous). Cette motion réaliste et inventive (n’est-ce pas ce que l’on attend d’un organisme de recherche ?) propose une modalité simple d’utilisation de l’argent débloqué par le ministère qui nous semble tout à fait en accord avec le souci proclamé de celui-ci de récompenser « l’excellence » d’aujourd’hui et de revaloriser les rémunérations pour y attirer les futurs talents : attribuer cette prime à tous les nouveaux entrants, pour saluer l’excellence des recrutements dans l’EPST et pallier le faible niveau des salaires d’embauche. On pourrait d’ailleurs appliquer la mesure à une ou plusieurs des années précédentes de recrutement, en fonction du niveau de prime auquel on souhaite aboutir.
_ Nous espérons que cette proposition originale d’une instance éminente d’un organisme « allié » suscitera votre intérêt actif, tout comme nous espérons que vous avez mesuré la qualité de l’autre proposition qu’a faite l’un des membres nommés de notre CA : distribuer la prime ministérielle non pas aux seuls lauréats des prix, mais aux équipes (ITAs compris, selon nous) qui ont permis les avancées scientifiques récompensées par ces prix. Nous voudrions pouvoir espérer qu’en saisissant l’une ou l’autre de ces pertinentes propositions, voire en les panachant ou en piochant également dans les propositions des organisations syndicales des personnels, de notre organisme comme des autres EPST (cf plus bas), vous saurez adopter, pour l’Inserm et dans l’urgence de cette fin d’année, une position plus créative que celle reflétée par la proposition initialement soumise au CA.

Nous redisons ici que nous serions personnellement passablement découragés si les directions de nos organismes scientifiques n’envoyaient pas à leur ministère et à la communauté scientifique, d’une façon ou d’une autre mais publiquement, un signal clair attestant de leur sensibilité à l’écoeurement de beaucoup d’entre nous. Ecoeurement devant ce que nous considérons comme un détournement mensonger des mots, la « PES » n’étant en rien une « revalorisation des carrières », et écoeurement devant l’abandon ainsi encouragé de cette partie essentielle de l’éthique et de la réalité de notre métier que sont la collaboration en équipe et l’effort désintéressé (toutes choses récompensées d’abord par l’estime des collègues et des pairs, voire par le sentiment de faire ce que l’on peut pour l’avancée des connaissances et de la société, plutôt que par l’individualisme et l’appât du gain).

Nous ne voyons d’ailleurs pas bien quelles raisons objectives (non idéologiques) pourraient vous motiver à faire changer le système, puisque vous nous dites que la dernière enquête bibliométrique à laquelle vous croyez reconnaît que les chercheurs de notre pays (des gens qui n’étaient pas jusqu’ici motivés par des considérations financières individuelles) font aussi bien et souvent mieux que leurs homologues de pays étrangers.
Nous sommes enclins à penser que des directions d’organismes publics préparant l’avenir de la nation devraient faire autre chose que recopier tristement les recettes douteuses d’un «management» qui montre plutôt ses limites ces temps-ci. Nous espérons que nous pouvons attendre de vous autre chose que l’adhésion ou la seule docilité aux souhaits d’en haut.

Nous profitons de ce courrier pour évoquer un tout autre sujet, avant la préparation du budget 2010 de l’Inserm. Nous croyons avoir compris que le nombre de contrats « handicap » conclus par l’Inserm en 2009 avait bondi du pauvre chiffre des 4 contrats initialement prévus à 7 contrats finalement conclus, alors pourtant qu’une telle évolution semblait inenvisageable à notre administration il n’y a pas si longtemps. Notre organisation syndicale se réjouit de cette heureuse surprise, et félicite celles ou ceux (vous-même, peut-être) qui ont arraché cette décision, opposée à la plus commune résignation. Merci donc, mais encore un effort : nous pensons que l’Inserm doit étendre ces contrats « handicap » à des postes d’ingénieurs de recherche et de chercheurs, comme savent déjà le faire plusieurs organismes « alliés » (qui suggèrent par là-même l’inanité probable des arguments du genre « Y’a pas d’vivier » et « cela rabaisserait le niveau »). Cela ferait vraiment mauvais genre, nous semble-t-il, que l’organisme chargé de la santé publique reste frileux vis à vis du recrutement de ceux dans notre société qui ont eu moins de chance que les autres.

Veuillez pardonner cette trop longue lettre.
Respectueusement,

Philippe Champeil et Jean-Luc Carrier,
_ élus SGEN-CFDT-Recherche EPST au CA de l’Inserm

Rappel de la motion de la CPCN du 5 octobre sur les primes d’excellence scientifique :

La CPCN est hostile à la logique des primes d’excellence scientifique.
Elle en dénonce les effets pervers : promotion d’une minorité d’individus au détriment des équipes, montant disproportionné par rapport aux salaires et pour une durée parfois indéterminée. Elle dénonce non moins vigoureusement les modalités d’attribution qui en sont proposées dans l’urgence : arbitraire des critères, suivisme de prix déjà attribués et pourvus, délégitimant l’organisme et ne tenant aucun compte des disparités disciplinaires. A défaut d’une réelle revalorisation de la carrière des chercheurs, la CPCN propose d’attribuer cette prime à tous les nouveaux entrants à l’occasion de leur titularisation, pour saluer l’excellence des recrutements au CNRS et pallier le niveau scandaleux des salaires d’embauche.
_ /Adoptée par 37 voix pour, 0 contre, 1 abstention/

Rappel de la déclaration intersyndicale au CA de l’Inserm :

La prime d’excellence, décidée par le gouvernement sans aucune consultation préalable des organisations syndicales est présentée comme une mesure de revalorisation des carrières. De facto, la faiblesse relative des rémunérations des personnels de la recherche et la faible amplitude de leur évolution au cours de la carrière constitue une préoccupation majeure pour les personnels de la recherche en activité.
Mais cette prime récompense un individu en lieu et place de la reconnaissance du travail d’une équipe. C’est un facteur supplémentaire de démotivation et de déstabilisation profonde des formations de recherche. Le budget alloué aux primes devrait être consacré à des recrutements de personnels statutaires et à la revalorisation réelle des carrières. En effet cette prime ne peut en aucun cas être considérée comme une solution à l’impératif de revalorisation des carrières. Celle-ci doit se faire sous forme d’allongement des grilles, la création de hors classes, l’augmentation des salaires à l’embauche, des possibilités de promotion, et des rémunérations de l’ensemble des personnels (chercheurs et ITA) des établissements publics de recherche.
_ Nous vous demandons donc de refuser de mettre en oeuvre cette mesure, que son budget soit consacré à des recrutements et que des négociations soit engagées pour améliorer réellement les carrières des personnels

Au hasard, rappel également du résultat du CTPC d’un autre organisme « allié », l’INRA :

«Le Comité Technique Paritaire rappelle que la recherche est une activité d’équipe et de collaborations entre chercheurs, ingénieurs et techniciens.
_ Un système qui exacerberait la compétition et l’individualisme au détriment des collectifs, ne pourrait être que destructeur pour la communauté scientifique et l’INRA. La mise en place d’une prime d’excellence scientifique ne saurait en aucun cas être considérée comme une solution alternative à l’impératif de revalorisation des carrières et rémunérations de l’ensemble des personnels (chercheurs et ITA) des établissements publics de recherche.
_ Par ailleurs, la sélection potentielle des bénéficiaires de la prime d’excellence scientifique par les Commissions Scientifiques Spécialisées change la nature de leur rôle.
_ En conséquence, le Comité Technique Paritaire se prononce contre la mise en place d’une prime d’excellence scientifique à l’INRA.»
_ Vote :10 voix pour (syndicats) – l’administration ne prend pas part au vote.

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